De sélection festive en collaboration jalouse et malicieuse, découvrez la petite histoire dans la grande.
Madame, Monsieur,
Pour un paysan, parler de son produit est naturel lorsqu’on ne lui demande rien, mais en vanter les mérites sur commande est presque impudique. « Si tu n’en dis rien, personne ne le saura ! », me reproche ma fille et il faut bien avouer que cela relève d’un certain bon-sens. Je vais donc m’y essayer.
Pour qualifier le haricot tel que je le ressens, je dirais qu’il s’agit d’un petit miracle. En apparence, il n’y a que lui et nous dans la boucle mais, en réalité, c’est bien plus compliqué que ça. Terre, ciel, plantes et gens, œuvrent dans un grand mouvement qui nous dépasse un peu, il faut bien le reconnaître. Il m’a fallut approcher l’âge de raison pour me rendre compte combien nous sommes petits face à cette intrication prodigieuse.
En apparence, notre vie n’a rien de compliqué, elle se résume à oser semer. Cultiver signifie prier le Bon Dieu, le ciel, la terre, les insectes, les champignons microscopiques, les bactéries et autres puissances mystérieuses telles que les ions ou la lune, de bien vouloir œuvrer en harmonie pour que le miracle se produise. L’expérience consiste à savoir lire les signes. Car, prier ne veut pas dire rester les bras croisés. Sans nous, rien n’arrive. En cela, nous sommes sans doute grands.
Depuis plus de soixante ans déjà, je dois reconnaître que ça marche et j’en suis toujours aussi surpris. La probabilité pour que tout se passe bien est si infime ! C’est ainsi que, le moment venu, nous demandons à nos habiles ramasseurs de faire la cueillette (à la main). Devinez quoi, ils la font. N’y a-t-il pas de quoi s’émerveiller ?
« Le monde ne manque pas de merveilles, il manque d’émerveillés », nous confie Eric-Emmanuel Schmitt. Je crois profondément qu’un véritable paysan est un émerveillé.
Pour vous expliquer pourquoi le haricot tarbais est si particulier, il faut que je vous raconte comment ses grains ont été élus, car c’est bien de ça dont il s’agit.
Autrefois, le haricot était à la fois une base et un mets de choix. N’ayant pas d’ennemi, il se conservait très bien l’hiver. Donc, on le gardait et on l’utilisait avec parcimonie vu la difficulté à le produire. Juste une poignée par semaine pour la garbure, sauf en une occasion bien particulière, la fête du village. Les parents venaient et il fallait les recevoir dignement. Le menu du quotidien ignorait la viande, mais il n’y avait que ça sur la table le jour de la fête. Le seul légume autorisé était le Tarbais, noblesse oblige. La fierté de la maison se concentrait donc dessus. Une peau si fine qu’on oubliait qu’elle existe, un goût suave et un gonflement si fort qu’il gorgeait chaque grain de jus, voilà ce dont on discutait fourchette à la main. Si, d’aventure, le haricot de l’hôte s’avérait meilleur que le sien, il était de tradition d’en rapporter une petite bourse à la maison, qui servirait de semence (principe d’élection). Le haricot tarbais est le fruit de cette fierté, le produit de la collaboration jalouse et malicieuse de toute une région.
Ce que je vous dis là, mon père me l’a rapporté et je l’ai vécu moi-même. J’estime qu’il est de mon devoir de transmettre cet héritage et de l’améliorer. Je l’ai fait pour nos enfants, mais ma fille considère qu’il faut partager plus largement. Alors voilà, je recommence pour vous.
Notre maison, à quoi ressemble-t-elle ?
Fondée il y a longtemps (l’acte le plus ancien remonte à 1700 et, sur un autre, difficile à lire).
Au même endroit depuis ces temps-là donc et sans doute bien plus, au pied des Pyrénées.
Père et fille à ce jour.
13 ha de haricots.
Deux personnes pour cultiver, sécher, trier (à la main) et conditionner.
Saison de récolte : fin août et septembre en frais. Octobre en sec.
Récolte manuelle, environs 50 à 70 personnes (habitant autour de chez nous).
Pour la cueillette du frais, seules les plus jolies gousses sont sélectionnées sur pied, une à une.